Noël en Provence
En Provence, parmi toutes les fêtes religieuses, c’est Noël la plus importante. Les fêtes de Noël s’appellent ici les fêtes calendales ou les Calènes. Elles commencent le 4 décembre et finissent le 2 février.
Le 4 décembre, la sainte Barbe
Ce jour-là, les Provençaux mettent à germer des grains de blé dans des coupelles de terre cuite. Souvent au nombre de trois, symbole de la sainte Trinité, elles orneront la table de Noël. Il s’agit sans doute de la survivance d’un culte à Adonis. C’est l’explication de Marie Gasquet dans son livre « Une enfance provençale » :
« Comme tous les enfants de Provence, ce soir du 3 décembre, j’allais trier, l’une après l’autre, les graines de la semence essentielle et je la déposerais le lendemain, au matin de la Sainte-Barbe, sur une couche d’eau, au creux verni d’une assiette en faïence. Ce sont les mains d’enfants qui, au travers les âges, ont gardé au doux Jésus cette survivance du culte d’Adonis. C’est à l’éphèbe ensanglanté que les jeunes athéniennes, pour célébrer l’adolescence de la terre, offraient, en toutes saisons, de menues prairies poussées sur des plateaux d’argile. »
Ce blé fait l’objet d’une grande attention pendant sa germination. C’est qu’il doit être bien dru pour le jour de Noël car il est un présage de prospérité pour la maison.
L’Avent
Durant les quatre semaines qui précèdent Noël, les chrétiens préparent l’avènement du Sauveur. D’où l’origine du mot Avent.
Le dernier dimanche de l’Avent
C’est le jour où l’on fait la crèche. Une institution en Provence !
Le mot « crèche » signifie mangeoire. L’évangile de Saint Luc nous apprend qu’une mangeoire a été le premier berceau de l’Enfant Jésus (chapitre II, versets 1 à 7.)
Les crèches d’église
Les premières représentations plastiques de la Nativité sont très anciennes : ce sont par exemple des peintures du II° siècle dans les catacombes de Rome ou des bas-reliefs sur des sarcophages. Mais c’est au XIII° siècle, en Italie, que la crèche, aux figures amovibles et indépendantes les unes des autres, a fait son apparition. La tradition nous rapporte que c’est saint François d’Assise qui fut le fondateur de la crèche, tout au moins de la crèche vivante : à Greccio, pour la messe de Noël de 1223, ce saint homme avait réuni des bergers et des animaux et cajolait lui-même dans ses bras un bébé invisible aux yeux de l’assemblée mais devant qui il était en extase.
(Les Provençaux diffusent largement cette légende bien qu’ils l’aient quelque peu transformée. Ils considèrent saint François comme l’un des leurs car il était provençal par sa mère, native de Tarascon. Ce qui leur permet d’avoir un sentiment de propriété sur la crèche et un certain chauvinisme…)
Les crèches d’église se sont surtout développées après le Concile de Trente, dit de la Contre Réforme (XVI° siècle). Certaines sont devenues d’un luxe inouï.
Les crèches publiques
Au Moyen-Âge, pendant l’Avent, des représentations sur des thèmes bibliques étaient jouées sur les parvis des églises. On les appelait des « Mystères ». Après le Concile de Trente, ces Mystères s’effacèrent pour laisser place à des représentations populaires, les « Pastorales », consacrées à la Nativité, dans lesquelles apparut le petit peuple local. En Provence, il y eut de nombreuses créations ; la plus célèbre est celle d’Antoine Maurel créée en 1844.
Les crèches familiales
Dès le XVI° siècle, les familles aisées, se sont offert des crèches aux formes les plus variées : figurines en bois, verre filé, mastic dit « mie de pain », cire, terre crue ou cuite, et même corail, dans des décors de carton et de liège, souvent inamovibles dans des boîtes de verre. C’est véritablement la Révolution Française qui a lancé la crèche familiale. Les églises étant fermées au culte, les crèches se sont installées dans les foyers. Le métier de santonnier, d’abord appelé figuriste, est né à la fin du XVIII° siècle à Marseille. Le plus ancien et le plus connu d’entre eux est Jean-Louis Lagnel (1764-1822). La première foire aux santons de Marseille date de 1803. Les santons de Provence actuels (du provençal « santoun », petit saint) sont faits d’argile cuite, peints pour les plus petits, habillés pour les plus grands.
Ils se divisent en deux grandes catégories :
. Les personnages sacrés : l’Enfant Jésus, Marie, Joseph ; des anges, des bergers, des mages. Cités dans les évangiles de saint Luc et de saint Matthieu, ils sont vêtus d’habits de leur lieu et de leur époque - c’est-à-dire le Moyen Orient il y a 2000 ans - sauf les bergers qui sont habillés à la mode provençale.
. Les personnages qui composent le petit peuple de Provence. Principalement tirés des Pastorales, en particulier de la Pastorale Maurel, ils sont vêtus à la mode provençale du XIX° siècle. Ils représentent le petit peuple d’autrefois.
Il n’y a pas de modèle-type pour installer la crèche. Bethléem a beau être une ville de Judée, pour l’occasion elle ressemble plutôt à un village perché de Provence. Même l’étable dans laquelle Jésus est né, représentée souvent ailleurs par une grotte, ressemble à un vieux cabanon. Mais c’est bien connu, comme le dit la chanson, « Jésus est né en Provence, entre Avignon et les Saintes Maries, Jésus est né en Provence, c’est un berger qui me l’a dit. »
Le 24 décembre, la veillée de Noël
La tradition du cacho-fio
C’était une coutume typique de la Provence et très ancienne. Elle est à présent tombée en désuétude. Il s’agissait de déposer une bûche dans le foyer et de l’allumer selon un rituel quasi sacré. La symbolique était tout à fait celle de Noël, la bûche embrasée représentant le Christ Lumière mort en sacrifice pour nos péchés.
En début de soirée, les membres de la famille se réunissaient dans la salle. Après le signe de croix, l’aïeul et le plus jeune de la famille, portant la bûche, faisaient trois fois le tour de la table (parfois de la maison) et la déposaient dans la cheminée. L’aïeul l’arrosait de vin cuit, parfois d’huile ou d’un peu de bouillon sur l’un des bouts. Il récitait cette formule, qui variait selon les familles :
« Alègre, Alègre !
Mi bèus enfant, Diéu nous alègre !
Emé Calèndo, tout bèn vèn.
Dièu nous fague la gràci de vèire l’an que ven,
E si noun sian pas mai, que noun fuguen pas mens. »
Ce qui se traduit par : « Allégresse, allégresse ! Mes beaux enfants, que Dieu nous réjouisse ! Avec Noël, tout bien vient, Dieu nous fasse la grâce de voir l’an qui vient, et si nous ne sommes pas plus, que nous ne soyons pas moins. »
On y ajoutait des braises éteintes du cachio-fio de l’année précédente que l’on avait pieusement conservées. Et l’on allumait le feu.
La table de Noël
En dressant la table, la maîtresse de maison mettait trois nappes blanches : trois en l’honneur de la sainte Trinité, « une pour le Père, une pour le Fils, une pour le Saint-Esprit », blanches comme le vêtement du chrétien (Apocalypse, chapitre VII, verset 14.)
Le gros souper
Après les jours de jeûne de l’Avent, ce repas était très attendu. On l’appelait familièrement « sant creboto », que l’on peut traduire par « manger à en crever » ! Les plats qui le composaient étaient dits maigres car il n’y avait pas de viande.
Le gros souper était clôturé par les très attendus treize desserts. Treize, comme Jésus et ses Apôtres au soir de la Cène. Treize, encore, comme un signe d’abondance.
A la différence d’autres régions ou pays, en Provence, les desserts de Noël sont peu élaborés. Pas de Christmas Pudding ou de bûche chocolatée mais des produits simples, issus du terroir. Leur liste est longue car elle regroupe les traditions locales.
A Aix, une association composée de félibres et de confiseurs a établi la liste des treize desserts les plus souvent présents sur les tables aixoises : une pompe à huile ; du nougat noir et du nougat blanc ; les quatre mendiants : figues sèches représentant l’ordre des Franciscains dont la robe est grise, raisins secs pour les Augustins (robe foncée), amandes pour les Dominicains (robe blanche), noisettes ou noix pour les Carmes (robe brune) ; des dattes ; du melon verdau et du raisin blanc ; des oranges ou des mandarines ; des calissons et des pâtes de coing.
Les treize desserts sont à savourer arrosés du délicieux vin cuit de Noël, en vente à partir du 4 décembre dans toutes les bonnes caves.
La messe de minuit
Autrefois, pendant la messe, les gens du village faisaient des offrandes. Ne subsiste actuellement que l’offrande des pâtres, le pastrage : la période de Noël étant celle de l’agnelage, les bergers apportent à la messe de minuit un agneau nouveau-né.
Chaque Noël, on chante encore des chants qui sont restés très populaires, composés par Nicolas Saboly, un compositeur du XVII° siècle.
Le 25 décembre, jour de Noël
C’était un jour consacré à la famille. A table, c’était encore ripaille. Les plats n’étaient plus maigres, certains s’endettaient pour acheter la dinde.
Le 26 décembre, la saint Estève
On l’appelait aussi « la deuxième fête de Noël ». On faisait encore bombance !
En cette fête de saint Estève, ou Etienne, premier diacre et premier martyr, les parrains offraient à leur filleul un gâteau en forme de marmouset - de petit bonhomme -.
Le jour de l’An
La messe était de tradition, ainsi que le bon repas, les vœux de bonheur et de prospérité et les étrennes aux enfants.
Le 6 janvier, l’Epiphanie
La fête liturgique de l’Epiphanie se situe le dimanche le plus proche du 6 janvier. Mais on met les rois mages dans la crèche familiale le 6, précisément ! La visite des mages à l’Enfant Jésus est relatée dans l’Evangile de saint Matthieu, au chapitre 2, versets 1 à 12. Les mages apportent des présents symboliques et somptueux. L’or, réservé à la royauté, signifie qu’ils reconnaissent que Jésus est roi ; l’encens, réservé à la divinité, que Jésus est Dieu. La myrrhe, un parfum d’embaumement des morts, préfigure la mort et la résurrection de Jésus ; elle symbolise l’éternité.
Le mot épiphanie, d’origine grecque, signifie manifestation. Le sens de la visite des mages est l’ouverture de la Bonne Nouvelle aux Gentils (i. e. aux non Juifs.)
Le jour de l’Epiphanie, on « tire les rois ». En Provence, le gâteau des rois est une couronne briochée garnie de fruits confits et de grains de sucre, contenant une fève (vraie, gros haricot séché) et un sujet. Celui qui a la fève dans sa part est le roi, celui qui a le sujet devra payer le prochain gâteau. Cette forme en couronne daterait du Moyen Age.
Le 2 février, la Chandeleur
Cette fête fait mémoire de trois événements relatés dans l’Evangile de saint Luc au chapitre 2, versets 22 à 38 :
. La Purification de la Vierge Marie. D’après la loi de Moïse, la femme juive devait se soumettre à une cérémonie rituelle.
. La Présentation de Jésus au Temple. Cette prescription s’enracine dans l’Exode : du temps de son esclavage en Egypte, le peuple juif, prévenu par Moise de la dixième plaie prévue par Yahvé, la mort de tous les premiers-nés, badigeonna le linteau et les montants de la porte des maisons avec le sang d’un agneau ou chevreau. C’était le signe pour que l’ange chargé des châtiments divins épargnât les familles juives dans la nuit. Le lendemain, « une grande clameur monta du pays d’Egypte » car tous les premiers-nés des familles égyptiennes étaient morts et le peuple d’Israël put sortir d’Egypte et de son esclavage. Avant même son départ « Dieu dit à Moïse : « Consacre-moi tout premier-né, prémices du sein maternel, parmi les Israélites. » (Livre de l’Exode, chapitre 13 versets 1 et 2.) Ce rachat des premiers-nés permit de rappeler aux générations suivantes l’enseignement de l’Exode : Dieu ne cesse de racheter son peuple.
. La prophétie du vieillard Siméon. Il y avait au Temple un vieil homme juste et pieux qui avait été divinement averti par l’Esprit Saint qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le Christ. Ce jour-là, il vint au Temple poussé par l’Esprit, reçut l’Enfant dans ses bras et s’écria : « Maintenant, Souverain Maître, tu peux, selon ta parole, laisser ton serviteur s’en aller dans la paix ; car mes yeux ont vu ton salut, que tu as préparé à la face de tous les peuples, lumière pour éclairer les nations et gloire de ton peuple Israël. » D’où l’usage de la bénédiction des cierges ou chandelles, et le mot Chandeleur.
A l’église, on retire les personnages de la crèche en ne laissant plus que la sainte Famille. Le vieillard Siméon vient l’y rejoindre, accompagnée de la prophétesse Anne présente aussi dans le Temple ce jour-là. Quelques églises possèdent des crèches blanches pour ce jour de la Purification de la Vierge.
La célébration de la Chandeleur la plus pittoresque a lieu à Marseille à la basilique saint Victor. Les Marseillais sont très nombreux à venir y participer bien qu’elle ait lieu très tôt le matin. Ils y vénèrent la Vierge noire de la crypte, Notre Dame de Confession ou Notre Dame du Feu Nouveau, Feu Nou en provençal. Par similitude phonétique, la légende dit qu’elle a été sculptée dans une racine de fenouil, fenoui en provençal, par saint Luc alors qu’elle date du XIII° siècle et qu’elle est en noyer ! Les cierges que l’on bénit à saint Victor sont verts, les abbés de saint Victor avaient, par privilège, le pouvoir d’utiliser la couleur verte des sceaux royaux. Après la cérémonie, le clergé sort sur le parvis pour bénir la ville, la mer et les fameuses navettes, ces petits gâteaux en forme de barque, en souvenir, dit-on, de la barque qui a déposé les saintes Maries sur nos rivages au I° siècle.
Autrefois, le cierge de la Chandeleur devait être rapporté de l’église encore allumé. Chez elle, la maîtresse de maison signait toutes les portes en faisant sur chacune d’elle « uno crous de fum », une croix de fumée, « afin que le diable n’entre pas par là ! »
Outre les navettes, les Provençaux mangent des oreillettes (fritures de toutes les fêtes) et des crêpes. Ces dernières, par leur forme ronde, rappellent le soleil et sa lumière. Il faut les faire sauter avec une pièce en or (métal lié au soleil) dans la main gauche, ce qui doit apporter prospérité et fortune.
Le soir de la Chandeleur, on démonte la crèche, ce qui est vraiment le signe de la fin de la période calendale.
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Principaux ouvrages de référence
. « Mes origines, Mémoires et Récits » de Fréderic Mistral, éditions Aubéron ;
. « Une enfance provençale » de Mare Gasquet, éditions Flammarion ;
. « Noël provençal » de Marion Nazet, éditions Edisud, le plus complet, avec de jolies photos et des recettes de cuisine ;
. « Le Folklore de la Provence » de Claude Seignolle, éditions Maisonneuve & Larose ;
. « Les fêtes provençales » de Jean-Paul Clébert, éditions Aubanel ;
. « Santons et traditions de Provence » de Marthe Seguin-Fontes, éditions Flammarion ;
. « Connaître les santons de Provence » de France Majoie-Le Lous , éditions Jean-Paul Gisserot ;